Archives pour la catégorie Motivation

AT: RECEVABILITE DES RESERVES

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Par deux arrêts du 17 décembre 2015, la Cour de cassation confirme la recevabilité de réserves formulées par l’employeur et fondées respectivement sur l’existence d’un état pathologique antérieur et sur le défaut de témoin.

Dans la première affaire (Cass. 2e civ. 17 décembre 2015 n° 14-28.312), sont jugées motivées les réserves ainsi libellées :

« Nous émettons des réserves sur le caractère professionnel de cet accident pour les raisons suivantes : lors de la déclaration de notre intérimaire, M. J. nous a fait part de douleurs au dos antécédentes à ce soi-disant fait accidentel. Pour l’ensemble de ces raisons, il apparaît que la matérialité du fait accidentel n’est pas établie, les lésions décrites par le salarié s’approchant davantage d’une maladie telle que celles indemnisables au titre des tableaux n° 97 et 98 prévus à l’article R 461-3 du Code de la sécurité sociale » ; que ces réserves évoquent une pathologie antérieure à l’accident signalé par le salarié le 28 mars 2008 ; que, dès lors, la caisse ne pouvait prendre en charge l’accident d’emblée et a violé le principe du contradictoire ; Que de ces constatations, faisant ressortir que l’employeur avait formulé des réserves sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident, la cour d’appel a exactement déduit que la caisse n’ayant pas procédé à une instruction de la demande de prise en charge de l’accident, sa décision n’était pas opposable à l’employeur.« 

Dans la seconde affaire (Cass. 2e civ. 17 décembre 2015 n° 14-29.783), sont jugées motivées les réserves ainsi libellées :

«Et attendu que l’arrêt retient que l’employeur a expressément mis en doute le fait que l’accident déclaré par sa salariée ait pu se produire au temps et au lieu du travail en invoquant « l’absence de témoin », tant dans la déclaration elle-même que par courrier séparé du même jour, alors que plusieurs personnes travaillaient nécessairement sur le site s’agissant d’un centre de tri ; qu’en omettant d’adresser à l’employeur ainsi qu’à la salariée concernée un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident, ou de procéder à une enquête auprès des intéressés, la caisse n’a pas tiré les conséquences des réserves qui lui avaient été régulièrement adressées ;Que de ces constatations et énonciations, faisant ressortir l’expression par l’employeur de réserves sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident, la cour d’appel a exactement déduit que la décision de prise en charge de l’accident du travail litigieux devait être déclarée inopposable à celui-ci« .

En conclusion, la Cour de cassation interprète une fois encore strictement les dispositions textuelles en écartant les arguments fallacieux des CPAM tendant à écarter systématiquement la recevabilité des réserves formulées par les entreprises pour insuffisance de motivation. Il convient de noter que, malgré une jurisprudence désormais bien établie sur ce thème, les CPAM continuent à tenter de s’exonérer de leurs obligations d’enquête en misant probablement sur le découragement des employeurs en termes de contestations a posteriori (le chemin reste effectivement long pour gravir les différents degrés de juridiction).

NOEL 2013 DES EMPLOYEURS : AT-MP/PAS DE CADEAUX DE LA COUR DE CASSATION

1033277La jurisprudence de la fin d’année 2013 n’aura pas épargné les employeurs concernant la thématique des risques professionnels.

L’amiante, tout d’abord, continue à alimenter un abondant contentieux défavorable aux entreprises. Le 10 octobre 2013 (Cass. 2e civ., 10 oct. 2013, n° 12-21757), la Cour de cassation a ainsi reconnu le bien fondé d’un jugement de cour d’appel reconnaissant le caractère professionnel d’une pathologie de cancer broncho-pulmonaire primitif affectant un comptable, maladie pourtant initialement rejetée au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles et ayant donné lieu à un avis défavorable du CRRMP. Malgré un tabagisme avéré de l’intéressé et une exposition résiduelle et non habituelle aux poussières d’amiante, la cour de cassation valide l’arrêt de cour d’appel considérant que l’application de la présomption d’imputabilité posée par le tableau relevait du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Cette acception très large du caractère professionnel des maladies liées à l’amiante est d’autant plus lourde de conséquences que la Cour de cassation a consacré le préjudice d’anxiété dans plusieurs arrêts du 25 septembre 2013 (Cass. soc. 25 septembre 2013 n° 12-20157 notamment). Pour mémoire, le préjudice d’anxiété a vocation à indemniser l’inquiétude permanente dans laquelle se trouve un salarié ayant été exposé à l’amiante de développer une maladie mortelle.

Concernant la prise en charge des accidents et des maladies au titre de la législation sur les risques professionnels, trois nouvelles jurisprudences rejetant des arguments pertinents des employeurs méritent d’être soulignées. D’une part, la Cour de cassation prive de sens l’exigence de motivation des décisions de pris en charge des CPAM posée par l’article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale en considérant qu’un courrier stéréotypé mentionnant simplement le fondement de la reconnaissance d’un sinistre ainsi que les voie et délai de recours répond au formalisme posé par les textes  (Cass. 2e civ. 19 sept. 2013, n° 12-23.338). D’autre part, opérant un revirement de jurisprudence, la Cour a estimé que « l’inopposabilité de la décision de prise en charge ne peut résulter d’un défaut d’information de l’employeur après une décision initiale de refus lorsque la caisse a repris l’instruction de l’affaire et a régulièrement notifié à l’employeur la fin de cette procédure d’instruction ». Pour finir, s’agissant de la reconnaissance individuelle d’une maladie professionnelle sur le fondement d’un avis du CRRMP, les juges suprêmes ont considéré qu’une nouvelle mise à disposition des pièces du dossier comportant l’avis du comité n’était pas obligatoire ( Cass. 2e civ. 7 novembre 2013, n°  12-23354).

Faisons de bons vœux pour une jurisprudence 2014 plus réaliste et moins politique.

AT-MP – Réserves de l’employeur: quand la Cour de cassation appelle un chat un chien!

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Bien que répondant aux nouvelles exigences textuelles en motivant leurs réserves, force est de constater que les employeurs doivent aujourd’hui faire face à un positionnement aussi discutable que surprenant de la part des organismes de sécurité sociale consistant à rejeter quasi systématiquement la recevabilité de réserves pourtant dûment émises, ce, sans fournir d’explication pertinente et utile puisque justifiant l’irrecevabilité de façon générique via la lapalissade suivante : « les réserves devant porter sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident, elles doivent concerner les circonstances de lieu et de temps du sinistre». Plus concrètement, les services AT-MP rejettent les réserves consistant à contester la survenance d’un fait accidentel au temps et au lieu de travail au regard de la non démonstration de la matérialité tirée du défaut de témoin et d’accident manifeste, ou, encore, de l’invocation d’un état pathologique comme cause unique de la lésion à l’exclusion de tout fait accidentel … Contrairement à ce que semblent appréhender certaines caisses primaires qui brandissent le principe de la présomption d’imputabilité, les réserves motivées ne sont pas celles qui doivent nécessairement emporter un refus de prise en charge de la part de la caisse primaire (l’employeur n’ayant en effet ni la possibilité de se substituer au pouvoir de décision de l’organisme de sécurité sociale ni la possibilité d’anticiper sa décision finale) mais simplement celles au titre desquelles l’employeur émet un doute sur la survenance du sinistre tel que rapporté par le salarié. Car tel est bien l’objectif des réserves : présenter l’avis de l’employeur/payeur quant à son analyse et sa perception du sinistre déclaré par son salarié.

La Cour de cassation, qui désormais crée la norme juridique en lieu et place d’une représentation nationale cruellement absente sur les sujets ignorés du JT,  semble pourtant partiellement aller dans le sens des organismes de sécurité sociale dans un arrêt non publié du 11 juillet 20013. Dans cette affaire, l’employeur avait formulé des réserves qui, bien que maladroitement rédigées (extrait: »« Nous émettons les plus strictes réserves sur le caractère professionnel de la lésion invoquée par Monsieur X…, qui aurait eu lieu le 26 mai 2008, lors d’une mission au sein de l’entreprise Sogea. En effet, ce sinistre s’est produit sans témoin et intervient peu de temps après un accident similaire arrivé le 5 mai dernier, lors duquel Monsieur X… avait chuté sur son bras, pour éviter cette fois-ci la chute d’agglos sur le chantier« ), visaient manifestement à contester la survenance matérielle de l’accident au temps et au lieu de travail. En ce sens,  La cour d’appel de Rennes avait déclaré les réserves recevables. Procédant par truisme, la cour de cassation censure ce jugement en considérant « Qu’en statuant ainsi, alors que dans ses observations, l’employeur ne contestait pas que l’accident s’était déroulé au temps et sur le lieu du travail et n’invoquait aucune cause totalement étrangère au travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé« . Une nouvelle fois, la Cour de cassation pose un non principe en se cantonnant à rejeter sans préciser ce qu’il convient de faire concrètement.

En tout état de cause, des questions fondamentales subsistent: si l’employeur indique qu’il conteste les circonstances de temps et de lieu, cela constitue-t-il une réserve recevable? Si oui, faut-il que ce soit étayé ? Si oui, le défaut de témoin peut-il constituer cet étai dès lors que l’employeur prend le soin d’écrire qu’il conteste la survenance aux temps et lieu de travail ?

Messieurs les magistrats, cessez d’appeler un chat un chien et faites preuve de pédagogie.

 

 

 

Irrégularité des reconnaissances individuelles des MP

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Le syndicat des médecins inspecteurs du travail fait trembler les organismes de sécurité sociale en clamant haut et fort dans un récent communiqué que les décisions de prise en charge des maladies professionnelles reconnues depuis le 1er octobre 2012 dans le cadre de la procédure de reconnaissance individuelle seraient entachées d’illégalité au regard d’une formation incomplète du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP). En effet, afin de faire valoir des revendications salariales, les médecins inspecteurs du travail ont récemment suspendu leur participation au comité (pourtant prévue par les textes). S’il convient de partager logiquement les constats juridiques pratiqués par lesdits médecins sur la non-conformité des avais ainsi rendus, il n’est pourtant pas acquis que les commissions de recours amiable et les juridictions, qui ne manqueront pas d’être saisies par les employeurs de contestations des reconnaissances, fassent droit à de telles demandes au regard des jurisprudences anciennes de la cour de cassation selon lesquelles l’irrégularité de l’avis du CRRMP ne serait pas sanctionnée par l’inopposabilité de la décision de la CPAM. Force est pourtant de reconnaître un crédit aux analyses juridiques de représentants du corps de l’inspection du travail et de la DIRECCTE.

Vers un Tsunami au sein de la branche AT-MP ?

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Aux termes de l’article R. 441-14 alinéa 4 du Code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du Décret n°2009-938 du 29 juillet 2009 :

« La décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l’accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n’est pas reconnu, ou à l’employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief. »

Cette exigence de motivation désormais expressément prévue par les textes poursuit le double objectif d’assurer une information complète de l’employeur sur les éléments ayant fondé la décision finale de la Caisse Primaire, et, surtout, d’éviter que les services AT-MP des organismes de sécurité sociale n’arrêtent des décisions de prise en charge « automatiques » sans procéder aux vérifications factuelles indispensables à la caractérisation d’un sinistre professionnel. A l’instar de l’ensemble du droit positif faisant référence à la notion de décision motivée, la motivation doit être écrite et comporter les considérations de droit et de fait qui justifient la décision finale. Elle doit être circonstanciée et précise et ne pas se limiter à la simple mention des textes de loi.

Actuellement, en pratique, les décisions notifiées par les CPAM se cantonnent à viser l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale dans le cadre d’une formulation stéréotypée sans fournir la moindre justification factuelle et juridique ; ces décisions ne répondent manifestement pas aux exigences de motivation posées par les textes.

Une question subsiste : quelle sanction en cas de constat de défaut de motivation ? Si les organismes de sécurité sociale affirment qu’une telle carence ne peut être sanctionnée (ce qui prive d’objet le nouveau texte de 2009), le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Lyon (11 septembre 2012 – Décision n°1262/2012) a récemment ouvert une brèche considérable en déclarant un accident du travail inopposable à l’employeur sur le fondement suivant :

« Attendu que la nouvelle rédaction de l’article R. 441-14 du Code de la Sécurité Sociale impose à la Caisse de motiver tant à l’égard de la victime, qu’à l’égard de l’employeur les raisons de la prise en charge ou éventuellement du refus […] Attendu que la formule stéréotypée […] ne constitue pas la motivation exigée. Mais Attendu qu’en raison du défaut de motivation le Tribunal déclarera inopposable à la Société la prise en charge par la Caisse de l’accident du travail […]. »

Si ce jugement devait être suivi par la Cour de Cassation et/ou d’autres juridictions du fond, cela reviendrait à rendre inopposable l’intégralité des décisions de prise en charge arrêtées par les organismes de sécurité sociale depuis le 1er janvier 2010. Cette situation constituerait un véritable tsunami pour la branche AT-MP à l’équilibre financier précaire mais entrainerait une baisse substantielle des taux de cotisations AT-MP antérieurement notifiés aux entreprises. Espérons que les magistrats de la Cour de Cassation entérineront l’approche du TASS de Lyon et feront prévaloir la logique juridique au détriment d’une simple orientation politique.